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Etienne Ghys

The mathematical path of Etienne Ghys

Étienne Ghys est directeur de recherche CNRS à l’Unité de Mathématiques pures et appliquées de l’École Normale Supérieure de Lyon, qu’il a contribué à fonder, et membre de l’Académie des Sciences. Ses travaux touchent plus particulièrement à la géométrie, à la topologie et aux systèmes dynamiques, bien qu’il n’aime guère cloisonner les mathématiques, qui, selon lui, « sont une seule et même chose ». Lorsqu’on lui demande d’énoncer ses domaines de recherche, il préfère répondre tout simplement « je fais des mathématiques ».

Propos recueillis à l'occasion de Maths A Venir 2009.

Vous avez fait vos études de mathématiques à Saint-Cloud ou à Lille ?

J’ai été admis à l’ENS de Saint-Cloud, ce qui, cela dit en passant, signifie que j’ai raté la rue d’Ulm. Aujourd’hui je pense que ce n’était pas une mauvaise chose pour moi car ça m’a remis les pieds sur terre. J’ai cependant vite quitté Saint-Cloud pour l’université de Lille. Je suis profondément provincial, je ne me plaisais pas en région parisienne. Ma formation est donc essentiellement lilloise.

Sur quel sujet portait votre premier travail de recherche, autrement dit votre thèse ?

S’il est vrai que la thèse est en général le premier travail de recherche original dans la carrière d’un mathématicien, cela n’a pas été mon cas. Il se trouve que j’avais déjà effectué un travail sur les feuilletages, que je n’ai pas pu valider comme thèse, mais qui m’a permis d’entrer au CNRS. J’ai donc intégré le CNRS avant ma thèse, ce qui ne correspond pas au parcours habituel. J’ai ensuite fait ma thèse sur les actions de groupes, un sujet qui fait intervenir l’un des concepts les plus importants en mathématiques : le concept de groupe, intimement lié à celui de symétrie. Sans entrer dans le détail de ce que cela signifie, disons qu’il existe ce qu’on appelle des groupes de symétries. Quand un mathématicien regarde un objet mathématique, par exemple un cube, il en observe les symétries qui constituent un groupe. Dans mon travail de thèse, j’ai un peu fait l’inverse : partir d’un groupe de symétries et me demander quels objets possèdent ce groupe de symétries. Ce n’est ni de la géométrie, ni de la théorie des groupes, ni de la topologie, ni des systèmes dynamiques, mais c’est un mélange de tout ça.

Après votre thèse, vous avez eu le privilège d’inaugurer une réforme importante du système universitaire…

Autrefois, après la thèse de troisième cycle, on faisait une thèse d’Etat, c’est-à-dire encore un travail chapeauté par un directeur de thèse. Cet ancien système favorisait beaucoup le mandarinat. Maintenant, après sa thèse de doctorat, on passe une habilitation à diriger les recherches. L’habilitation est un acte individuel : il n’y a pas de directeur qui recommande le jeune chercheur, c’est lui-même qui estime qu’il est assez mûr pour passer son habilitation. Il écrit alors un texte de synthèse où il intègre l’ensemble de ses publications, puis il remet ce dossier au conseil scientifique de son université où des rapporteurs donnent (ou non) leur feu vert pour une soutenance. Je suis arrivé au moment où le système changeait. J’ai eu le choix entre passer soit la dernière thèse d’Etat, soit la première habilitation. J’ai choisi cette dernière et j’ai eu beaucoup de plaisir à rédiger mon rapport d’habilitation. Cela peut être vraiment enrichissant de prendre le temps d’expliquer pourquoi on a réalisé tel ou tel travail.

Comment avez-vous choisi de travailler dans les domaines mathématiques qui sont les vôtres aujourd’hui ?

A Lille, où j’ai suivi mon cursus, j’ai été bien accueilli par des individus qui m’ont donné envie de travailler sur ces sujets. Peut-être que certains mathématiciens font leurs choix de recherches suivant des motifs purement scientifiques mais il me semble que dans la majeure partie des cas, ce sont des choix humains : on est marqué par un professeur, par un maître…

Que vous ont apporté les voyages faits à l’étranger quand vous étiez jeune chercheur ?

Entre la thèse et l’habilitation, j’ai eu la chance de faire deux grands voyages. Le premier a été une coopération scientifique (à la place du service militaire) à Rio, au Brésil. Je suis parti le lendemain de ma thèse pour l’Instituto nacional de matemática pura e aplicada (IMPA). Cela a été extrêmement formateur car j’y ai découvert une autre façon de faire des mathématiques, qui correspondait plus à ma personnalité. J’aime les mathématiques dès qu’elles touchent au qualitatif. C’est pour cette raison que je me sens très à l’aise avec la topologie. Au Brésil j’ai pu faire des mathématiques moins « carrées », moins bourbakistes (NDLR : du nom de Bourbaki, groupe de mathématiciens très influent en France, en particulier dans les années 1960, 1970).
Ensuite, je suis parti aux Etats-Unis, à New York, où j’ai côtoyé un très grand mathématicien : Dennis Sullivan. Il a été véritablement mon maître. Je l’ai vu au travail alors que je n’étais qu’un débutant, ce qui était tout à fait fascinant car il était à l’apogée de sa gloire. Il avait une culture très large, très horizontale, et cette capacité de mettre en contact des disciplines qui a priori n’étaient pas liées. Son approche me plaisait beaucoup. Je comparerais cette expérience avec celle que l’on vit avec un guide de montagne : on fait une promenade avec lui et il nous montre le chemin. Certains très grands mathématiciens n’ont aucun attrait pour le fait d’avoir des étudiants mais d’autres ont une façon de merveilleuse de transmettre le témoin. Gromov (lauréat du prix Abel 2009), par exemple, m’a aussi transmis beaucoup de choses. Pour moi cet aspect transmission est important.

Comment êtes-vous passé de Lille à Lyon ?

La création de l’ENS Lyon entrait dans la logique de la décentralisation et, comme je l’ai déjà dit, je suis très provincial. Je suis arrivé à Lyon un an après la création de l’École, sur la suggestion d’un collègue. Le département de mathématiques était presque vide. Avec quelques collègues nous avons eu la mission de le remplir, c’est-à-dire de trouver des collègues, de recruter des jeunes…

Quelles mathématiques faites-vous aujourd’hui ?

Je travaille en ce moment sur la notion de chiralité. Un objet chiral est un objet qui ne peut pas se superposer à son image dans le miroir. Un exemple immédiat est la main. D’ailleurs, le mot « chirurgie », l’art de la main, a la même racine étymologique que le mot « chiral ». La chiralité est importante en chimie. Certaines molécules sont images chirales l’une de l’autre et ne réagissent pas de la même manière avec d’autres molécules, en particulier les protéines. En topologie, il existe des nœuds chiraux et des nœuds amphichiraux. Déterminer si un nœud est chiral ou pas est un problème de topologie. Moi je m’interroge sur la chiralité non pas des nœuds mais des dynamiques. Il existe des champs de vecteurs (qui sont des systèmes dynamiques) droitiers ou gauchers. Par exemple, quand on observe un fluide qui bouge dans un grand récipient, on peut s’intéresser aux trajectoires de ses particules et dire si ce fluide est chiral ou pas.
Mais j’aimerais ajouter que mon activité de recherche pure occupe moins de place aujourd’hui qu’il y a 20 ans. Au fil de la carrière d’un mathématicien, la profession s’enrichit d’autres choses et c’est aussi ce qu’il y a de formidable avec ce métier, de pouvoir moduler entre ces diverses choses. Mon métier consiste donc aussi à avoir des étudiants, ce que j’aime beaucoup mais qui prend du temps et me laisse moins de temps pour mes mathématiques, ou encore à faire de l’administration (en tant que directeur de laboratoire). Je suis également rédacteur en chef des publications de l’IHÉS : évaluer le travail des autres est aussi un travail mathématique, une manière d’apprendre des mathématiques. Enfin, je contribue à la communication des mathématiques en dehors de la communauté des mathématiciens. Pour moi, toutes ces choses sont importantes.

Pouvez-vous en dire plus sur la communication des mathématiques auprès du grand public ?

J’essaye de faire sortir les maths de la communauté mathématique depuis le début de ma carrière (via des exposés dans les lycées) et de plus en plus. Je pense qu’il y a un gros problème de communication dans le monde mathématique. Je suis assez remonté contre cet hermétisme. Il faut vraiment qu’on fasse des progrès là-dessus. La désaffection des jeunes pour les filières scientifiques est bien réelle. Il y a une diminution des vocations car il existe une vison faussée des mathématiques, de ce qu’est un mathématicien.

Est-ce particulièrement difficile de communiquer sur cette discipline ?

Il n’est pas plus difficile de communiquer sur les mathématiques que sur d’autres disciplines. Mais il faut en avoir envie. Il faudrait aussi que les structures officielles, comme le CNRS ou les universités, reconnaissent que ces activités font partie de notre métier. J’ai encore en tête l’exemple de deux de mes collègues qui n’ont pas jugé opportun de signaler leurs activités de communication des mathématiques dans leur rapport d’activité, comme si c’était honteux ou indigne.

Vous êtes l’un des responsables du site grand public Image des mathématiques. Comment se passe la publication des articles ?

Sur le site, on peut s’inscrire pour être relecteur, mathématicien ou pas. Il y a 5 ou 6 relecteurs par article, qui se livrent à une longue discussion sur l’article en vue de l’améliorer. Le processus de réécriture peut durer jusqu’à trois mois. Quand on estime que l’article est digne d’être publié, c’est qu’il est impeccable.

Comment avez-vous conçu votre film Dimensions ?

Pour illustrer un exposé de mathématiques, j’avais besoin d’images que j’avais choisies sur Internet mais que je ne pouvais pas télécharger. J’avais donc écrit au site en question et j’étais tombé sur Jos Leys. J’ai ainsi fait la connaissance de cet ingénieur chimiste de 55 ans qui ne connaissait pas grand-chose en maths. Je lui ai proposé une collaboration. Dimensions a en quelque sorte été fait pour Jos, pour lui expliquer en images la notion de dimension. Ensuite, Aurélien Alvarez s’est joint à nous. Depuis, le film a été largement vu. Il y a eu 630 000 visites sur le site et le DVD s’est déjà écoulé à 10 000 exemplaires. Il a été traduit en de nombreuses langues. En ce moment il est traduit en zoulou. On a d’ailleurs accès à une carte du monde des connections sur le site. C’est assez émouvant de se dire par exemple que 27 000 personnes en Chine au vu le film.

Avez-vous d’autres projets du même type ?

Un deuxième film est en gestation. Nous hésitons entre une suite du premier et quelque chose d’autonome, de différent. Les idées de thèmes ne manquent pas. Je songe à faire quelque chose de beaucoup plus élémentaire, à viser notamment les enfants. Le premier film n’a pas reçu de soutien des instances officielles pour sa diffusion. Pour d’éventuels projets à venir, j’aimerais disposer de plus de moyens, par exemple pour me faire aider de vrais professionnels de la vidéo.

A voir

Le site Images des mathématiques

Le site du film Dimensions

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