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Nalini Anantharaman et Josselin Garnier

Nalini Anantharaman    Josselin Garnier - Professeur - Ecole Polytechnique | LinkedIn

Regards croisés : propos recueillis à l'occasion de Maths A Venir 2009

(à retrouver sur le site de Maths A Venir)

Nalini Anantharaman, 33 ans, professeur de mathématiques à l’Université Paris Sud-Orsay

Josselin Garnier, 38 ans, professeur de mathématiques à l’Université Paris-Diderot

Comment êtes-vous devenus mathématiciens ?

Nalini : J’ai grandi dans une famille de mathématiciens donc c’était pour moi une idée assez naturelle.Souvent, on ne pense pas que les mathématiques puissent être une carrière. Aux yeux de beaucoup de gens, être bon en maths permet de faire d’autres choses (ingénieur, par exemple), mais pas mathématicien. J’ai eu une petite hésitation entre les mathématiques et la musique (le piano), mais j’ai vite opté pour les maths.

Josselin : Chez moi, il n’y avait pas de tradition mathématique dans la famille. Ma vocation est venue plus tard. J’ai été assez tôt attiré par les domaines scientifiques – passé l’inévitable phase où je voulais être pompier – mais j’aimais plutôt la chimie. C’est à l’Ecole Normale Supérieure que j’ai découvert des mathématiques qui m’intéressaient.

Quelles sont les qualités nécessaires pour être mathématicien ?

Nalini : Il n’y a pas vraiment de profil. Certains mathématiciens sont des gens très organisés, d’autres très désordonnés, certains écrivent beaucoup, d’autres font des mathématiques en ayant l’air de rêvasser…

Josselin : Il suffit de voir les bureaux des mathématiciens pour comprendre qu’il en existe de tous les styles.

Nalini : S’il fallait trouver une qualité commune, je citerais toutefois la persévérance.

Josselin : Je suis d’accord, quand on est mathématicien, on passe 90% de son temps à explorer des fausses pistes.

Nalini : Il faut aussi être créatif, mais la créativité en mathématiques, ça veut dire savoir poser de bonnes questions et pas seulement savoir trouver des réponses. Il faut aussi savoir convaincre ses collègues de l’intérêt des questions que l’on pose.

Josselin : J’ajouterai aussi la capacité à ne pas avoir le nez dans le guidon, avoir du recul sur ce que l’on fait.

Comment travaille un mathématicien ?

Nalini : Un mathématicien essaye de démontrer des choses nouvelles. Pour cela, il doit se tenir au courant de ce que les autres ont fait. Une partie du travail consiste donc à lire des articles. A partir des travaux des autres, on trouve de nouvelles idées, on pose de nouvelles questions.

Josselin : On va à des colloques, soit pour faire des exposés, soit pour en écouter, ce qui dans les deux cas donne lieu à des discussions, à de nouvelles questions. A chaque question résolue, deux nouvelles viennent.

Nalini : Une partie de notre travail consiste également à encadrer des thèses. On apprend beaucoup des étudiants car eux-mêmes posent des questions et ont des idées très inattendues.
Toute la partie qui consiste à trouver des idées de questions se fait donc avec d’autres : mathématiciens, étudiants, et aussi, dans mon cas, avec des physiciens. Ensuite, vient la partie « recherche », où l’on essaye de répondre à ces nouvelles questions. Pour moi, c’est la partie solitaire, que j’effectue d’ailleurs beaucoup à la maison.

Josselin : L’idée mathématique peut venir n’importe où, à n’importe quel moment.

Nalini : En tout cas c’est un métier où l’on apprend sans cesse de nouvelles choses. Je suis professeur et chercheuse mais une partie de moi est une éternelle étudiante.

Collaborez-vous avec des spécialistes d’autres disciplines ?

Nalini : Nous travaillons tous les deux dans des domaines en lien avec d’autres disciplines, et même, pour Josselin, avec l’industrie. J’étudie l’équation de Schrödinger, qui est une des équations de base de la mécanique quantique. Je collabore avec des physiciens théoriciens.

Josselin : Quant à moi, mon travail est à l’interface entre les équations aux dérivées partielles et les probabilités. Je suis en relation avec des physiciens expérimentaux. Mes travaux touchent à des domaines où interviennent des ondes, comme l’imagerie, les télécoms…

Pouvez-vous donner un exemple de question que vous essayez de résoudre ?

Josselin : En ce moment, j’essaie d’exploiter le bruit de fond. Est-ce qu’il y a de l’information dans ces signaux qu’on appelle du « bruit » et que l’on jette ? Est-ce qu’on peut faire de l’imagerie avec ?

Nalini : Moi, j’essaye de comprendre les phénomènes de dispersion. Une onde se propage dans une cavité fermée. Elle va rebondir sur les parois. J’essaye de comprendre la manière dont elle va se disperser : va-elle rester cloisonnée, confinée dans une partie de la cavité ou va-t-elle se disperser dans toute la cavité ?

Qu’est-ce que vous aimez dans le métier de mathématicien ?

Josselin : J’aime beaucoup le processus de découverte, avec ses hauts et ses bas, ses surprises. J’aime ces moments où on a l’impression que l’on s’approche de la solution, où l’on ressent cette excitation très particulière, jusqu’à ce que l’on réalise que c’est une fausse piste et qu’il faut en chercher une autre. Et puis évidemment, de temps en temps, on fait une vraie découverte et c’est un moment très jouissif. On a le sentiment, pour reprendre l’expression de Descartes, d’être « maître et possesseur de la nature ».

Nalini : J’aime aussi le fait que, finalement, la manière dont notre cerveau fonctionne, la manière dont on raisonne, dont on aboutit à une découverte, tout cela reste mystérieux. Un autre aspect fascinant des mathématiques est que c’est un langage abstrait qui, pourtant, est reflété par la nature.

Josselin : Par exemple, vous faites une expérience virtuelle, dans votre tête ou avec un ordinateur, vous en calculez le résultat. Tout cela est abstrait. Et pourtant, lorsque vous faites cette expérience pour de vrai, dans la réalité, cela fonctionne comme vous l’aviez prévu. Cela continue à me surprendre !

Pourquoi, à votre avis, les mathématiques sont-elles si impopulaires auprès du grand public ?

Nalini : Les mathématiques sont victimes du rôle négatif qu’on leur fait jouer comme instrument de sélection. Les gens s’en souviennent comme d’une cause de stress ou d’échec scolaire.

Josselin : Je trouve également dommage que la vision que l’on a des mathématiques au collège, au lycée et même en classe préparatoire soit si réductrice, binaire, et n’ait rien à voir avec la réalité de la recherche. Dans un exercice scolaire, vous avez des hypothèses posées, une unique conclusion à laquelle il faut absolument arriver et l’impression qu’entre les deux, il n’y a qu’un seul chemin. La recherche c’est tout le contraire : on n’a ni hypothèse ni conclusion posées a priori, il y a mille chemins possibles et on ne connaît pas les outils qui nous mèneront à une découverte.

Nalini : A l’école, la solution d’un exercice tombe comme un couperet. Il manque l’idée que l’on peut faire plusieurs tentatives, il manque les notions de droit à l’erreur, de droit à recommencer…

Josselin : Dans l’enseignement, on n’explique pas aux élèves – probablement par manque de temps - que tâtonner, réessayer, changer de méthode, tout cela fait partie des mathématiques.

Nalini : De plus, l’erreur peut être féconde, elle peut amener à d’autres découvertes. Toute initiative est bonne !

Pensez-vous qu’il faille vulgariser les mathématiques auprès du grand public ?

Nalini : Oui. Les mathématiques font partie de la culture générale. Le public doit connaître un certain vocabulaire mathématique.

Josselin : Il faut que les gens voient certaines images, entendent parler de certaines théories, de certains grand problèmes de mathématiques. Mais c’est une tâche ardue ! Il faut repousser les préjugés sur le fait que les mathématiques ne peuvent pas être appréciées par le commun des mortels sauf s'il a reçu "le don" (on dirait plutôt, s'il a la bosse des maths). Il faut montrer que les mathématiques sont vivantes.

Nalini : Les chercheurs en mathématiques sont toujours volontaires pour tenter des animations de type « Fête de la science » ou des conférences grand public, car cela permet d'avoir une discussion directe, très stimulante avec le public. Evidemment, de nombreux chercheurs seraient volontaires pour participer à des émissions de radio ou de télé, même s'il y a une plus grande timidité vis-à-vis de ces medias. Il est toujours difficile d'expliquer un résultat mathématique.

Josselin : Je pense que cela vient du fait qu'un résultat mathématique ne peut vraiment s'apprécier qu'à travers la compréhension du chemin qu'il a fallu suivre pour l'obtenir.

Nalini : Dans une conférence ou une émission, on peut au mieux donner une intuition de ce que sont les objets mathématiques et de ce qu'est l'activité d'un chercheur.


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Olivier Faugeras
Corinna Cortes